jeudi 22 mai 2014

o buro

"L'oiseau de bureau se soucie beaucoup de son avenir parce qu'il croit qu'il en aura un. Il pense énormément à ses vieux jours, sans se douter que ses vieux jours ont commencé le jour où il a posé la patte dans un bureau."

"Oiseau triste, je tente une toilette de chat à l'eau salée"

"Il faut alors aller chercher, quelque part au-delà de cette nuit et avant que ne commence le néant, en quelque endroit improbable et lointain, les forces herculéennes qui me permettrons de prononcer les mots "bonjour" et "ça va ?". Une fois cet exploit accompli, une fois le fond de la mine atteint et vidé de ses dernières ressources naturelles, le reste n'est plus qu'une longue attente, et le soir finit toujours par arriver."


Anne Weber, Chers oiseaux - Seuil (fictions & Cie), pp.38,39,41

lundi 19 mai 2014

Lectures #1


Je lis Carnet d'au bord de Sophie G. Lucas (Potentille), cadeau du facteur un matin gris, attendu depuis longtemps. La peau et les mots. Frissons à la lecture. Le corps perd ses mots et, devenu muet, se plie et sombre. Carnet d'au bord, c'est d'abord les notes d'une écriture empêchée. Partie à la campagne chercher plus d'air pour les mots à venir, l'auteur de ce carnet revient en ville plus silencieuse que jamais. Ce sont alors des longues marches où le corps adresse à la nature ses questions muettes, ses doutes sur les choix faits... car avec l'absence des mots, c'est la disparition qui menace. Il y a une lenteur calme et triste dans cette variation sur la perte de ce qui fait soi : ces mots comme une colonne verticale/vertébrale qu'on ne trouve plus. Le "je " de ces poèmes est traversé par l'impossibilité d'écrire, sans épaisseur, sans rien pouvoir faire d'autre, corps et âme concentrés, repliés sur ça. Je lis Carnet d'au bord et la grande simplicité de la langue, le vers dépouillé, réduit à son minimum mais plus ample que ceux auxquels l'auteur nous a habitué, me va bien, comme me vont en ce moment, tout ce qui est bribes, notations et carnets...
Je lis Apaisement de Charles Juliet (POL) et me replonge avec bonheur via le dossier du Matricule des anges (janvier 2014, n°149) dans son parcours. A vingt-quatre ans lorsque je l'avais entendu une première fois, à la bibliothèque où je travaillais alors, ce qu'il disait m'avait laissé de marbre. A quarante ans, je comprends mieux de quoi il parle, je comprends sa quête de lui-même. J'ai appris aussi que ce qu'il se passe à l'intérieur de nous n'obéit pas au temps ni aux règles du monde extérieur et combien il est difficile de faire coïncider/cohabiter les deux...
Je lis Infinis de poche de Romain Fustier  (éditions Henry) et j'ai immédiatement envie de jardin, de fruits et d'aromates. Ses poèmes sont craquants et odorants. Ils bruissent de sensations. Ils nous déplacent au ralenti du présent au souvenir d'enfance, du corps au jardin, du fruit au regard... doux décalages calibrés dans une forme-poème répétée du début à la fin : quinze vers, chacun séparé en son milieu par un espace.